LE GABION

Publié le par LE PETIT GOUBLIN

Le destin nous surprend toujours au détour d'un chemin. Françoise va en faire l'expérience dans les Marais du Cotentin, à deux pas du Mont d'Étenclin où les sorcières organisaient leur sabbat, il n'y a pas encore si longtemps...

  Alors qu'elle séjournait à Cherbourg, cité des parapluies, Françoise avait souhaité rendre une petite visite à son copain Michel (Polna) qui faisait une petite retraite à Tessy, à l'Hôtel de France.
Sa petite Spitfire roulait bien, entre Saint-Sauveur le Vicomte et La Haye du Puits. Elle serait bientôt à Saint-Lô, puis à Tessy...
  C'est alors que l'imprévisible se produisit : à la sortie d'un virage, la Triumph mordit un peu sur le bas côté humide et… se retrouva dans un fossé très large. Fran avait bien aperçu l'écriteau "Parc Naturel des Marais du Cotentin", puis un lieu-dit "Marais de la Sangsurière", mais elle n'avait pas imaginé un seul instant qu'il y eût tant d'eau dans ces marécages, un 5 mai 1966.
  La voiture s'enfonçait inexorablement dans l'immense fossé. L'eau allait bientôt rentrer dans l'habitacle. Françoise prit son sac et sortit en catastrophe du petit cabriolet rouge.
C'était une nuit sans lune. Vu l'heure tardive, il faisait déjà très sombre et plus aucune voiture ne passait.
  Soudain, elle aperçut la silhouette d'une petite hutte, une quinzaine de mètres plus loin. De crainte de passer la nuit au bord de la route, dans le noir, elle s'approcha de l'abri et observa les environs. C'était un gabion dressé sur une hauteur, entouré de roseaux et devant lequel s'étendait une vaste étendue d'eau de forme globalement triangulaire.
  Elle pénétra dans le petit local sans difficulté. La porte ne grinça même pas...

  Elle alluma son briquet et aperçut trois bougies installées sur de larges bougeoirs en terre cuite de Mourot. Le gabion était rustique mais confortable : une table avec deux chaises, un divan rouge et une couchette surélevée à l'autre extrémité. Une très longue fente en direction du plan d'eau… Ouf ! elle ne passerait pas la nuit dehors et ne serait pas dans le noir absolu. Françoise s'installa sur le sofa et alluma une cigarette. Elle pensait à son petit bijou de bagnole noyé dans l'eau boueuse du marais…
Elle s'allongea, découragée, succombant enfin à cette débauche d'émotions fâcheuses. Alors qu'elle commençait à se laisser emporter dans les bras de Morphée, la porte du gabion s'ouvrit…
  L'homme venait de déposer deux bourres* au pied du gabion et deux mâlards* vers la pointe extrême du plan d'eau. Son chien, un Épagneul Breton, s'ébroua discrètement et se faufila derrière lui. Le nouvel arrivant parut d'abord surpris, puis fâché :
- Mais quel est l'imbécile qui a laissé cette bougie allumée ?
Françoise se réveilla brusquement, saisie d'effroi :
- C'est moi, monsieur, pardonnez-moi, j'avais peur dans le noir.
- Bonsoir mademoiselle. Mais que faites-vous ici ?
- Je suis désolée de mon intrusion. J'ai eu un accident de voiture et je ne voulais pas passer la nuit dehors.
- Soyez la bienvenue dans mon gabion ! Je m'appelle Jules Amédée…
- Moi c'est… Françoise. Je suis confuse. Merci.


* Les boures sont les femelles du canard "Colvert" appelé "mâlard"...

   Le chasseur alluma les deux autres bougies et commença à sortir quelques provisions de sa musette.
- Maître Tainnebouy, mon fermier, vient de me déposer avec sa carriole. Il repassera demain midi. J'espère que les colverts vont venir nombreux demain matin.
  L'homme était un quinquagénaire, moustachu, vêtu d'un costume en velours noir. Il avait un superbe fusil à chiens, damasquiné et doré à l'or fin. Une arme de grande valeur ! Il le posa verticalement, à proximité de la large fenêtre de tir.
  Françoise était passablement inquiète et regardait le gentleman farmer d'un air plein d'interrogations.
- Vous prendrez bien un morceau mademoiselle ? Il est déjà 22 h 30. Venez vous asseoir à cette table.
  Fran s'exécuta. Il est vrai qu'elle avait un petit creux et ne ne refusa ni le jambon fumé, ni le morceau de tarte aux groseilles, ni … le verre de cidre que son hôte lui proposa.
  Et comme elle se sentait un peu requinquée, elle accepta de participer à la conversation.

  Il était venu, de Paris, passer quelques jours au pays natal. Sa profession d'écrivain ne lui laissait guère de loisirs mais il les voulait denses et revigorants.
  Elle était chanteuse et faisait des galas dans la région…
Mais un profond malaise commença à l'envahir lorsque le chasseur se mit à lui parler de son ami Daudet et de son adversaire Flaubert. Françoise s'imagina qu'il se payait sa tête…
  Il lui raconta alors l'histoire du prêtre marié de Taillepied, de diaboliques aventures autour du Mont Étenclin et .......

  Dès qu'il eut fini de raconter "Le rideau cramoisi", puis "L'ensorcelée", Fran avait reconnu notre homme, mais elle était terrorisée à l'idée que…
- Croyez-vous à la sorcellerie mademoiselle ?
- Non, enfin je ne crois pas.
- Croyez-vous au destin ?
- Oui, d'une certaine manière. Je m'intéresse beaucoup à l'astrologie.
- Vraiment ? À l'astrologie ! Vous…
- Je peux vous faire votre thème si vous le souhaitez.
- Volontiers !
  Et la voyageuse égarée commença son travail d'investigation dans les méandres du zodiaque. L'homme était né le 2 novembre…1808. (Elle fit semblant de ne pas avoir remarqué le chiffre des centaines)… C'était donc un scorpion bien marqué du signe. Elle commença alors à décrire ses turpitudes de scorpion classique. Elle développait avec brio son penchant vers les femmes, une sexualité débordante et - ce qu'elle garda pour elle - une attirance marquée en direction des capricornes... Elle s'aperçut très vite que son hôte approchait insensiblement sa chaise de la sienne et il ne tarda pas à poser sa main droite sur sa cuisse gauche. Ah, ce qu'elle regrettait d'avoir mis une jupe ce matin-là !
  Mais le chasseur insistait et comme sa main remontait sur la cuisse nue, Françoise se leva d'un bond.
- Non ! Vous n'avez pas le droit ! Dit-elle furieusement.
 Et elle s'approcha de la fenêtre d'affût, réellement effrayée par ce scorpion si peu galant. Jules Amédée s'approcha d'elle, tentant de la calmer. Elle heurta un objet froid qui tomba sur le sol.......

  On aurait cru voir une scène animée de Georges de la Tour. Le clair-obscur créait des monstres étranges qui troublaient Françoise au plus haut point. Elle se baissa vivement et s'empara de l'objet : c'était le fusil de Jules. Il s'approchait encore d'elle. Alors, saisie de panique, elle pointa les deux canons vers lui et dit :
- Restez là où vous êtes !
- Attention mademoiselle, il est chargé !
  Il fit un pas de trop. Fran pressa les deux détentes en même temps. On n'entendit qu'un coup. L'homme s'effondra brutalement juste devant la table. Françoise s'approcha de lui et découvrit comme un grand camélia rouge sur le gilet du chasseur. Les deux décharges en plein cœur, presque à bout portant : il était mort sur le coup.
  Françoise poussa un cri étrange qui déchira la nuit, le temps et l'espace…

  Elle sauta brusquement sur son lit.

  Jacques était là, en train de siroter doucement son premier verre de whisky :
- Tu as encore fait un cauchemar Fanchou… Tu ne devrais pas faire tant d'astrologie. Ça te perturbe les neurones !
  Elle était dans sa chambre lumineuse, à Monticello. Leur propriété dominait la baie d'Isola Rossa. Il faisait un temps merveilleux. La Balagne est une vraie bénédiction des dieux!
- Je descends prendre les journaux à la maison de la presse. As-tu besoin de quelque chose ? lui cria l'aventurier.
- Euh, achète-moi "L'Ensorcelée" en livre de poche.
- C'est de qui ça ce truc?..

J"e ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions."  (Confucius)

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Vous pouvez télécharger l'Ensorcelée sur le site de la BNF
http://gallica.bnf.fr/
Taper "recherche" puis auteur "Barbey d'Aurevilly" car c'était lui.


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Et elle, c'était Françoise Hardy.
Quelle rencontre !


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V
Waouh ! Quelle belle histoire !
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